lundi 30 septembre 2013

Paulo

A bord du CC Sambhar, à l'approche des côtes, l'antenne du navire réussit à capter les ondes des télévisions brésiliennes.
Quand j'entre dans le carré des officiers, la première image que renvoie le poste est un homme allongé par terre, abattu par une arme à feu. Puis la caméra opte le point de vue d'un hélicoptère pour une chasse à l'homme de nuit à travers les quartiers déshérités de Sao Paulo. Grand show télévisuel digne des émissions américaines.
Mais en débarquant à Santos, la réalité fut bien différente.

Après avoir quitté Lise, je quitte la ville en longeant la mer jusqu'à Sao Vicente.
J'ai laissé l'Europe à la fin de l'été ; passage de l'équateur oblige je démarre mon périple sud-américain au début du printemps. Deux saisons d'effacées en seulement onze jours de mer.
Les plages sont loin d'être bondées, ce qui rend la balade agréable.
Pour gagner Itanhaém avant le soir je prends la voie rapide avant d'entrer à Praia Grande. 

 
La bande d'arrêt d'urgence est large et la circulation est d'une densité moyenne. Des habitations sommaires bordent la route pendant quasiment soixante kilomètres, et je suis souvent accompagné sur ma « piste cyclable » de cyclistes, piétons ou autres charrettes tirées à main d'hommes.


Itanhaém respire la tranquillité autour de sa place centrale, ainsi que Peruibe que je gagne le lendemain en longeant la plage sur du sable mouillé facilement praticable.

Itanhaém

Praia do Sonho (Itanahém)

Peruibe

De belles propriétés avec miradors ou gardiens sont encadrées par les nombreux petits bars de plage aux chaises rouges tournées vers l'horizon.




  Sur la plage les charognards se disputent quelques carcasses tandis que quelques pêcheurs essaient de ramener du poisson frais dans leur filet qu'ils vont poser jusqu'à mi-hauteur au milieu des vagues.

 

Manquent au tableau les belles naïades brésiliennes qui se jouent seins nus des vagues océanes, mais il est un peu tôt dans la saison ; je suis bien seul sur le sable.

J'aimerais poursuivre le long du cordon littoral, mais les pistes pédestres de la réserve écologique de Jurreia Itatins autour de la Serra tropicale me sont déconseillées pour cause de non praticabilité par les gardiens qui en barrent l'accès.
Je me contenterai de dormir au camping Da Vovo situé dans la réserve pour moins de 3€.


Le long détour par la route n'offre rien d'extra-ordinaire, si ce n'est la vue sur les plantations de bananiers au pieds des montagnes luxuriantes.

 
Il me faudra en plus emprunter la quatre voies sur plus de quinze kilomètres avec une circulation cette fois-ci très rapide. Mais comme dans les grandes villes turques, je ne fais pas figure d'intrus sur cette autoroute utilisée également par les piétons, car seule moyen d'accès entre les villages qui la bordent.
Je ne suis pas fâché de tourner à gauche vers la mer, mais il me reste encore 55 kilomètres avant de rejoindre la côte, et l'après-midi est déjà bien avancé. Il me faut en plus franchir une petite montagne.

Je commence à chercher un coin de bivouac, mais je me rends bien vite à l'évidence, il n'existe aucun espace qui ne soit déjà occupé par une habitation. De petits chemins qui semblent mener nulle part sortent des motos ou des cyclistes ; chaque petite plantation de bananes est cernée par une maison de brique ou de bois.

Je me fais vite à l'idée de gagner Iguape sur le tard, et effectivement à 18h30 il fait déjà nuit noire.
J'évolue pendant ¾ d'heure hors du temps à la lumière de mon vélo qui m'indique au dernier moment les quelques ornières à éviter. Les phares des voitures complètent de façon sporadique mon éclairage nocturne.
Enfin Iguape. Sur les routes pavées du centre historique la fixation de la plateforme avant rend l'âme. Rien de dramatique. Le duvet et les petites sacoches plus encombrants que lourds trouveront leur place à l'arrière le temps d'une réparation prochaine.
L'accueil à la pousada y est extraordinaire, et comme l'orage se met à tonner je ne suis pas finalement malheureux d'avoir évité le bivouac dans les champs de bananes !


Les chants de gospel qui sortent de l'église de la petite ville coloniale en ce dimanche matin résonnent sur toute la place.


Je franchis rapidement le pont qui me mène à l'île de Comprida. Ma carte peu détaillée ne m'indique pas s'il existe un débouché au bout des 45 kilomètres de l'île. Mais un panneau touristique indique qu'une balsa (un bac) traverse le bras de mer pour gagner Cananéia.


La route bordée de bars et pousadas perd son asphalte au bout de quelques kilomètres.


Puis la piste s'arrête. Le panneau indique la direction de la mer et la route empruntée par les voitures et les bus ... continue sur la plage !



 
Un bac m'attend effectivement au bout de l'île et me mène à Cananéia où je reste deux jours.


Ainsi s'achèvent mon périple dans l'Etat de Sao Paulo et mes premiers pas sur le sol américain.
Mon vélo y a gagné son surnom, « Paulo », car c'est sur les plages du rivage de Sao Paulo qu'il s'est fait baptisé.


Quant à moi, en débarquant il y a quatre jours, je me suis mis dans la peau d'un explorateur : une sorte de Christophe Colomb avec l'esprit d'escalier. Plus de 500 ans après j'ai encore l'impression que je vais découvrir l'Amérique. Bah, mieux vaut parfois se bercer d'illusions ; ça rend les rêves moins amers !

jeudi 26 septembre 2013

à bord du Karaboudjan

Prendre un cargo pour traverser l'Amérique. Quelle drôle d'idée.
Le billet acheté depuis plusieurs mois déjà par l'intermédiaire d'une agence parisienne ne m'assure pas expressément de l'heure d'embarquement.

L'avant veille au port on m'a parlé d'un départ à 20h. Mais hier par mail on me suggère d'arriver à midi.
J'arrive avec en poche les documents demandés : passeport, carnet de vaccination, certificat médical, décharge de responsabilité, certificat d'assurance... on ne me demandera que les trois premiers.

L'agence m'avait aussi demandé de me procurer un billet retour ou de continuation, prouvant mon intention de ne pas rester indéfiniment au Brésil.
On ne me l'a demandé pour l'instant ni à l'immigration, ni à l'embarquement. Heureusement, car le billet d'avion Rio – Buenos Aires que j'ai en poche est complètement factice, puisqu'il a été annulé aussitôt après avoir été acheté. Je n'allais quand même pas dépenser 300 à 400 € pour un avion que je n'utiliserais pas.

Après le contrôle, je progresse en touriste avec mon vélo sur les quais de chargement. 

 
Pas longtemps. L'agent de sécurité un peu ébahi devant ce cycliste atypique déambulant sans vergogne le long de son quai a dépêché en urgence un van dans lequel je charge mon véhicule jusqu'au pied du Karaboudjan. L'acheminement de mon matériel du quai à ma cabine via l'échelle métallique courant de façon un peu pentue le long de la coque ne se fait pas forcément sans mal.

le CC Sambhar à quai

Une fois à bord, il ne me reste plus qu'à attendre le départ, qui se fera finalement … à minuit passé !
Ça me laisse le temps d'assister au chargement du navire et au défilement des bateaux de loisir le long du Tage.


Pas facile de retrouver un mode sédentaire après plus d'un mois d'itinérance.
La vie à bord est rythmée par les trois repas quotidiens : 7h, 12h, 18h. Le reste du temps, c'est « free time ».
L'équipage est formé de 23 hommes, plus … deux passagers seulement ! Moi qui pensais que chaque traversée se faisait à guichet fermé : c'est loin d'être le cas.



Le deuxième passager est une passagère. C'est une Bretonne (une pure et dure car de Morlaix) du nom de Lise.


Lise trouve ses marques plus facilement que moi sur le navire. Elle connaît rapidement le navire de la proue à l'hélice et de la salle des machines à la cabine de pilotage.
Quelques chaises longues seront installées pour les touristes à bord, et l'avant du bateau, toujours ensoleillé et à l'abri du ronron des turbines, sera bientôt rebaptisé « la plage » par le capitaine.


Je trouve ma place à l'arrière du bateau à l'ombre de la cheminée. Bercé par le vrombissement incessant du moteur je reste souvent contemplatif entre sieste et lecture devant l'immensité de cet océan Atlantique bien pacifique à cette époque de l'année.
On passe assez vite au large des Canaries pour tracer vers l'hémisphère sud en croisant régulièrement des cargos ou autres géants des mers.



Les yeux rêveurs fixés sur cette mer impassible captent quelques bribes de la vie aquatique. Mais c'est à l'avant qu'il faut aller pour observer avec bonheur les dauphins se faufiler avec malice entre les vagues et la quille qui progresse à plus de 20km/h. Le spectacle de ces animaux joueurs est un pur délice.
Les poissons volants aussi sont de la partie. Ils planent pendant parfois de longues secondes à la surface de l'eau au risque de devenir le casse-croûte de quelques oiseaux malins.

La vie à bord est douce pour les passagers, d'autant que le capitaine qui est souvent en bermuda est plutôt du genre débonnaire ; une autorité naturelle liée à une humeur toujours décomplexée : on est loin du capitaine tyrannique retranché jour et nuit dans sa cabine.
L'équipage est formé de deux nationalités : Croates (dont fait partie le capitaine, le chef des machines et les techniciens) et Philippins (dont quelques sous-officiers ainsi que les hommes d'équipage).
Même si l'ambiance semble assez détendue, chaque nationalité possède sa propre salle de repos et salle à manger. Chacun sa culture, chacun ses divertissements, et on se mélange finalement assez peu.

Il ne faut pas compter ses heures pour travailler sur un cargo. Si ceux qui entretiennent le navire ont des heures fixes et ne travaillent pas le dimanche, les postes en cuisine ou en salle des machines sont plus contraignants, sans repos pendant les 45 jours que durent la rotation entre l'Europe et l'Amérique du Sud.
Quatre mois à bord et deux mois et demi de vacances pour les Croates. Les Philippins travaillent neuf mois pour quatre mois de repos.
C'est sans aucun doute le salaire qui retient tous ces hommes à bord.

La visite de la salle des machines, disposée en plusieurs étages, permet une excursion dans le ventre de la bête située au dessous de la ligne de flottaison.
Le moteur qui fait tourner la turbine actionnant l'hélice large de plusieurs mètres est un monstre composé de multiples membres métalliques dont il faut sans cesse surveiller qu'ils ne sortent pas de leurs gonds.



 
Le chef-ingénieur et sept techniciens sont là en permanence pour ça, sauf la nuit où jusqu'à six heures du matin la machinerie reste sous la seule égide des écrans de contrôle. 


 
A l'arrière du bâtiment, dans une salle au plafond un peu plus haut que la normale, le panier de basket m'attend pour quelques shoots, mais juste pour la photo.



Mais pour garder la forme, le mieux est d'aller au gymnasium sur le pont C, avec son vélo, son rameur et ses haltères.


Se rendre au sommet du navire dans la cabine de pilotage est toujours synonyme de surprise surtout lorsque le capitaine est sur le pont.
Et lorsqu'il désactive le pilote automatique et demande aux deux passagers de prendre manuellement la barre, Lise et moi sommes aux anges.
Il faut sans cesse tourner le volant de 10° vers babord ou tribord pour garder le cap fixé par le capitaine, car les vagues qui viennent continuellement frapper l'avant du navire l'empêchent constamment de filer droit ; et quand le capitaine me donne un nouveau cap à suivre, il me faut répéter l'information à voix haute pour être certain d'avoir compris l'ordre donné.






Bon l'officier de quart est juste à côté pour surveiller toute mauvaise manoeuvre, mais c'est un vrai cadeau qui nous est donné là, car seul le capitaine et ses officiers sont en principe autorisés à manoeuvrer manuellement le navire.

Un autre jour, alors que la nuit est tombée, le capitaine, toujours dans l'optique de nous montrer les moindres recoins de son vaisseau, nous emmène sous le pont A pour gagner la proue par un couloir souterrain avec vue sur les colonnes de containers empilées par sept et qui sont entassées jusqu'au fond de la coque.

Mais le must fut sans doute le bizutage des deux passagers après le franchissement de l'équateur : un seau d'eau versé sur la tête de chacun, par le capitaine himself en maillot de bain, de peur peut-être des représailles. Un grand moment !

Le soir, quand le travail est fini, les deux salles de repos se remplissent selon les nationalités : karaoké et jeux vidéos chez les Philippins avec une ambiance parfois délurée ; atmosphère plus feutrée dans le carré croate autour de la table de jeux de cartes. 

 
La traversée se poursuit inlassablement au bruit rassurant du moteur et du tendre roulis qui ne semblent jamais vouloir s'arrêter.
Je continue ma découverte des animaux marins, même si j'ai parfois un peu de mal à mettre un nom sur chaque. Alors que j'avais pris les apparitions furtives et lointaines de mes premiers dauphins pour de gros poissons, je déchante un peu après avoir pensé filmer un albatros qui bien sûr n'en n'était pas un. Il faudra que je révise tout cela.

exercice incendie









Déjà les côtes du Brésil ; le cargo y est accueilli par de jeunes cétacés qu'il m'est bien difficile de filmer car ils n'apparaissent que quelques secondes à la surface.

Lise serait bien restée plus longtemps car la vie à bord sans avoir rien à penser commence à bien lui plaire. Sa sympathie naturelle a conquis tout le navire, du capitaine aux hommes d'équipage.
Le jour de son départ le chef ingénieur n'a pas pu caché sa mélancolie de la voir partir.
Mais le travail l'attend en Amérique du sud ; trois mois au Brésil, trois mois en Uruguay, trois mois en Argentine, et l'avantage de pouvoir travailler n'importe où avec un ordinateur et une connexion internet.

L'arrivée à Santos est retardée par la fermeture du port à cause de mauvaises conditions météo. Le Sambhar est contraint de couper les moteurs dans l'une des cinq aires d'ancrage située au large de la baie. C'est étonnant d'attendre avec tous ces navires dont certains attendent leur cargaison pendant plusieurs semaines, voir deux ou trois mois. L'équipage est consigné à bord pendant tout ce temps.


Mais le port est finalement libéré et un pilote brésilien monte à bord afin de guider le navire dans le chenal.
D'abord les îles recouvertes de végétation luxuriante. 


Puis les gratte-ciels qui s'étirent à l'infini le long de la côte. 



Enfin le port où l'amarrage est rendu possible grâce à la poussée latérale de deux petits bateaux.






L'arrivée tardive en début de soirée m'arrange assez peu. Je demande à l'agent du port qui est monté à bord s'il peut m'indiquer des hôtels bon marché à Santos. Sa réponse assez peu convaincante sur la qualité des hôtels me vaut la proposition du capitaine de passer la nuit à bord du Sambhar, car celui-ci ne repart qu'à 9 heures le lendemain. Je ne le remercierai jamais assez pour tout ce qu'il a fait depuis Lisbonne pour moi et Lise.


Le lendemain matin mes sacoches, mon vélo et moi sommes prêts dès 8h dans l'attente du van qui doit me faire quitter les docks. Mon chauffeur arrive bientôt. Mais je ne partirai pas tout de suite. J'entre sans crier gare dans le monde ubuesque de l'administration brésilienne.

D'abord mes sept sacs seront soigneusement scellés, dont certains saucissonnés avec du fil à linge. Ensuite l'agent du port constate avec étonnement (alors qu'il avait été mis au courant par le capitaine) que Lise a déjà quitté le navire hier au soir. Il m'est donc impossible de partir sans Lise. Heureusement elle est encore à Santos.
On la contacte par mail. On met mes sacoches et le vélo dans le van. On va chercher Lise dans l'appartement de son couchsurfer. On scelle ses deux sacs de voyage. On va à la douane via le centre historique de Santos pour tamponner nos deux passeports. On descelle nos sacs sans que les douaniers ne vérifient quoi que ce soit. On retourne à l'appartement de Lise en prenant quelques détours. Résultat … une matinée de vélo de perdue.

Ça m'a permis cependant de revoir Lise et de prendre des nouvelles de son arrivée à Santos. Nouvel au revoir, en espérant que ce ne soit pas le dernier !
Voici le lien vers son site de voyage (http://magrandeaventureamericaine.blogspot.com.br/). Elle l'illustre de quelques uns de ses dessins qui valent plus qu'un simple coup d'oeil. Je m'y suis un peu essayé sur mon carnet de voyage : une chose est certaine, je ne peux que progresser !

En déambulant à vélo à midi le long de la plage de Santos, je me rends compte que maintenant que ça y est, pour la première fois, je suis en Amérique !
Je pense qu'il me faudra quelques jours pour appréhender ce nouvel environnement.