dimanche 26 janvier 2014

en terre d'Isengrad

De Puerto Natales à Cerro Castillo, la route 9 longe des monts chauves et d'anciens glaciers devenus lacs aux couleurs transparentes.



Au poste frontière j'oblique à gauche en direction du parc de Torres del Paine, en récupérant le vent de face.
Mais au bout de 5 kilomètres, au milieu d'une côte, la chaîne casse. C'est la première chaîne que j'ai remise à Punta Arenas, mais elle est de moins bonne qualité que la seconde. Patte de dérailleur faussée, ainsi que le galet inférieur … après remise de la chaîne je décide de retourner à Cerro Castillo pour passer la nuit.


Marks m'interpelle dans les rues du village. Il vient de franchir la frontière avec Carlsie, et tous deux se sont réfugiés pour la nuit dans le parc, le long d'une palissade à l'abri du vent, après avoir demandé l'autorisation au poste de police.


Je les rejoints donc. Carlsie, l'Australienne, a démarré son périple en Argentine et fait autant de randonnée que de vélo.
Marks est américain. Il a commencé son voyage à Juneau en Alaska par une descente en kayak jusqu'à la frontière canadienne avec 21 comparses. Puis les les rameurs se sont faits cyclistes.
Mais après vingt mois sur la route ils ne sont plus que trois à continuer, éparpillés le long du Pacifique.

Le lendemain matin je laisse filer Carlsie et Marks qui se sépareront à Puerto Natales.
Je retourne quant à moi sur la route du parc, mais cette fois-ci c'est le vent qui au passage d'un pont m'empêche de poursuivre. Il souffle sur cette portion de côté et m'envoie à chaque coup de pédale dans le fossé. Mieux vaut stopper. Je profite de l'abri au pied du pont pour passer la fin de la journée et bivouaquer pour la nuit.

Jamais deux sans trois. Le lendemain matin le vent est tombé. Je m'éclipse sans bruit de mon abri de peur de le réveiller. Le bitume devient ripio après 20 kilomètres, et c'est sur ces pistes de terre que le gros caillou du Torres del Paine finit par apparaître au milieu des lacs sans déversoirs aux eaux très salées bordées de moraines.




Cette montagne qui culmine à plus de 3000 mètres est coiffée de trois pics en forme de tour dominant la rivière du Paine, d'où son nom.
Pendant mon séjour cependant, les trois Torres perdues dans les nuages se déroberont à ma vue. Il ne me restera plus qu'à les imaginer : je leur donne volontiers la forme d'Isengrad, où règne le spectre de Saroumane qui fait naître des vents cinglants et glacials et les envoie vers toute la Patagonie.

L'entrée du parc est payante. 18 000 pesos, soit environ 25€. Puis à l'intérieur il faut payer le logement, les traversées en ferry ou les navettes de bus … bienvenue au parc d'attraction national du Torres del Paine.
Un couple de Français croisé à Puerto Natales y avait séjourné pendant quatre jours : ils se demandaient s'ils ne devaient pas poursuivre leur voyage en stop.
Je me contente de faire une boucle à vélo dans la partie non payante du parc, avec vue sur la cascade du Paine, et les nombreux guanacos qui ne risquent pas de se mêler les pinceaux sans les fils barbelés. Ils ont tellement l'habitude des randonneurs qu'on pourrait presque les caresser.




Sur le chemin du retour à Cerro Castillo, un camping-car des Hautes-Saônes m'arrête. C'est l'expédition des 5 partis pour un tour du monde. Une superbe aventure démarrée il y a maintenant 1 an et demi.
Ils remplissent mes bidons d'eau, e donnent un paquet de gâteaux pour le p'tit dèj de demain … comme ils remontent vers Santiago, nos routes risquent de se recroiser.

En quittant le deuxième poste frontière, côté argentin, je commence un arc de cercle de plus de 200 kilomètres sur le plateau patagon venteux, avec un passage en ripio de plus de 60 kilomètres. Vent de dos, puis vent de face. Moit-moit.
Le froid me saisit tôt le matin et je suis bien aise de rencontrer ce couple, lui belge et elle australienne, qui m'offrent le café et le croissant !



Plus tard, je croise ce cycliste japonais qui après une traversée de l'Asie et de l'Europe termine son périple en Amérique du sud : il descend jusqu'à Ushuaïa, puis remonte via les airs en Bolivie pour s'arrêter au Pérou.
Le monde des voyageurs est petit, puisque c'est l'ami de l'autre Japonais que j'avais croisé à la Panaderia de Tolhuin.


Peu avant d'arriver à El Calafate, le pneu arrière éclate. C'est celui changé à Buenos Aires : il aura tenu à peine 5000 kilomètres. Je profite d'une ville pour le changer, ainsi que de faire le plein de victuailles. Je retrouve les produits argentins auxquels j'ai eu le temps de m'habituer.
Passage par la case internet … je quitte El Calafate à 15h en prenant la direction du PN de los Glaciares.
La route 11 longe le lac Argentino avec en toile de fond des pics avoisinant les 200 mètres d'altitude. Le soleil décline au fil de mon avancée contre un vent fort mais plutôt conciliant, quasi noirmoutrain.
Belle après-midi cyclote, dans un décor très norvégien qui me fait arriver au Rio Mitré à 20h.





 Pause dîner, que je prolonge jusqu'à 22h, puis reprise du vélo vers l'entrée du parc en espérant me faufiler à la tombée de la nuit. Car faire payer l'entrée d'un site naturel me paraît toujours abuser. Mais le gardien veille. Retour donc au rio Mitre où je bivouaque en compagnie des renards.

Le lendemain matin, je suis parmi les premiers à franchir la porte du parc. Mais les 30 kilomètres de route accidentée et venteuse qui longe le Brazo Rico me font arriver bon dernier au pied du glacier Perito Moreno.
Un réseau de 4 kilomètres de passerelles inaugurées en 2011 permet d'avoir une vue de premier plan sur ce site exceptionnel inscrit au patrimoine de l'Humanité.
Le front de ce gigantesque bloc de glace (plus grand continent blanc après l'Antarctique) vient se heurter à la péninsule de Magellan qui lui fait face. Régulièrement, de gros blocs de glace s'en détachent et alimentent sous forme de gros icebergs le lac Argentino, ainsi que le Rio Santa Cruz qui va se jeter dans l'Atlantique après avoir dévalé le plateau patagon.












Là aussi cependant, le site est exploité de façon qui me trouble un peu. Les convois de bus organisée en charters depuis El Calafate me font prendre conscience de ce que l'expression Industrie Touristique signifie.

retour des bus en convoi vers El Calafate

un safari pour voir le glacier d'encore plus près

 Tout comme Puerto Natales au Chili, la capitale autoproclamée des glaciers, avec ses multiples hôtels et restaurants, vit exclusivement de la manne touristique.
Je préfère garder de la ville l'origine de son nom, à savoir le petit fruit plein de vitamines de cet épineux – el calafate – dont se nourrissait les premiers habitants des lieux, et dont Jimena, une gardienne du parc, se plaît à me faire goûter, et dont ses enfants s'amuseront de ma langue devenue bleue.


En remontant vers l'entrée du parc, une belle surprise m'attend au détour d'un virage. Le « camion 56 » de Rachel et Patrice, en route vers le glacier, s'arrête à ma hauteur. Des retrouvailles sympas après avoir bourlingués chacun de notre côté sur quasiment les mêmes routes. On se retrouvera le soir au bord du Lago Roca, au sud du Brazo Rico.


Cette partie du parc est assurément plus tranquille. Je pars au matin à l'assaut du petit Cerro de los Cristales, haut de 1270 mètres, mais qui me donnera après une bonne crapahute de deux heures un superbe aperçu des cimes glacées des montagnes andines dominant les lacs et canaux aux eaux transparentes.












C'est le domaine du « lion des Andes », dont une notice au pied du sentier rappelle la conduite à tenir en cas de rencontre avec ce splendide animal aux mœurs plutôt nocturnes.


Au sommet, les Tours du Paine, au sud, sont plus que jamais sous les nuages. La magie de Saroumane semble s'y prolonger indéfiniment. Je brandis donc mon bâton ramassé au pied de la dernière côte, et me fais Gandalf le Gris pour faire obstacle aux vents démoniaques : « vous ne passerez pas ! »


Je retourne à El Calafate par la route-piste 15, en gardant en mémoire ces superbes paysages qui pendant trois jours ont défilé sous mes yeux.
Séquence exaltation.




samedi 18 janvier 2014

vers le nord

La premier monument de Punta Arenas que je longe en quittant le ferry est le cimetière municipal où la promenade y est agréable au milieu de ses rangées de cyprès et de ses mausolées. On y trouve beaucoup de noms croates, italiens, et même français qui sont venus fonder la ville en 1848 qui s'est développée lentement au gré des attaques indigènes.




La plaza Munoz Gamero en est le cœur, bordée par la cathédrale, et au centre de laquelle la statue de Magellan domine quelques indiens Mapuche.





La ville peuplée aujourd'hui de plus de 100 000 habitants se déclare capitale de ces terres australes. De nombreux explorateurs y sont passés après avoir franchi le détroit de Magellan, dont Sébastien César Dumont d'Urville, qui a donné son nom à la station française antarctique, ainsi que Roald Amundsen, aventurier scandinave intrépide dont les récits m'ont toujours fascinés, celui là même dont je n'ai pu visiter le musée à Oslo à cause d'un Hammer irréparable.



La visite matinale sous la pluie m'aura été préjudiciable ; le soleil apparaît rapidement et avec lui mon ami le vent.
La reprise du vélo tient donc toutes ses promesses. Les drapeaux ont leurs étendards qui bandent vers l'est. Moi pas.
Je file vers le nord et doit composer avec ce vent patagon qui est au rendez-vous. Mais je connais ses vices. Il faut se faire roseau plutôt que chêne. Il faut savoir plier quand les rafales sont trop fortes ; s'arrêter un peu, parfois même pousser le vélo quand on ne peut plus pédaler ; stopper la journée plus tôt que prévu, et repartir le lendemain matin avant qu'Eole reposé de sa nuit ne remette le couvert. 

  Un monument au vent ? Certainement pas un cycliste qui en a eu l'idée

ni les arbres

pas plus que les chevaux

Complètement absents de la route 3 argentine, les routes chiliennes possèdent à intervalles irréguliers ces petits abris qui ne sont pas un luxe superflu : s'y abriter du vent, du froid ou de la pluie avant de reprendre la lutte contre les éléments est une halte grandement appréciée du cycliste. Et ils sont parfois nombreux à laisser sur les murs une trace de leur passage.






Je longe une dernière fois le détroit de Magellan, avec une vue sur ces paysages irlandais de la Terre de Feu que j'arpentais il y a quinze jours. Ces petites collines en forme de baleine couchée portent d'ailleurs le nom de « drumlin », dérivé de l'irlandais « droim » qui signifie crête de colline. Elles furent probablement formées par le mouvement des glaciers à l'époque où ils occupaient ces terres.


Villa Tehuelches est un petit hameau, mais ce week-end du 18-19 janvier sa population va passer de quelques dizaines d'habitants à plus de 5000. Le festival de la esquila célébrera la tonte des moutons, l'or blanc de la région, et les habitants de Punta Arenas et de Puerto Natales y viendront pour faire la fête autour de viandes grillées et de produits locaux. Un événement culturel pour cette région d'élevage. J'y passe trois jours trop tôt.




Plus au nord le Morro Chico est formé par les restes de matériaux solides (basalte) d'un volcan qui n'ont pas été détruit par l'érosion, contrairement au cône de l'ancien volcan. Il s'est formé il y a plus de 8 millions d'années.
Il est très photogénique, et l'angle selon laquelle on le photographie offre une palette de couleur toujours différente.





Cette route 9 chilienne m'inspire. Elle présente du relief. La circulation y est tranquille, avec seulement quelques camions, et les liaisons régulières de bus.


J'y trouve des petits coins pour manger

des ruisseaux pour laver le linge

et Paulo sera même surpris d'y trouver des fleurs

deux cyclistes père et fils qui en finissent bientôt avec l'Amérique, Nigel et Callums

Et puis au détour d'un virage, j'aperçois à nouveau les Andes ; elles surgissent un peu comme apparaissent les Pyrénées après des kilomètres parcourus dans les Landes. Elles deviennent un but à atteindre et me font oublier les portions venteuses.
Allez mon vieux Paulo, c'est bel et bien reparti.
Tout schuss vers le nord !



 
Puerto Natales apparaît après une dernière étape tranquille et non venteuse ; des lacs, des rivières, du soleil … quoi demander de mieux après le désert, la pluie et le froid.
J'apprécie d'autant mieux d'en découdre avec la montagne qu'elle arrive après des kilomètres et des kilomètres de plat.





En route donc vers les Tours du Paine...