vendredi 25 mars 2016

Cramaillotte ! ... pas de melon à Cavaillon

En longeant la Durance quasiment jusqu’à Jouques je frappe à la porte de Laurence et Jean-Marie après avoir essuyé une averse bien fraîche ; l’invitation qu’ils m’avaient lancée trois semaines plus tôt dans le massif de la Sainte-Victoire n’est pas restée lettre morte.
Paulo en profite pour subir un nettoyage complet. Il n’avait jamais été aussi beau depuis … son acquisition. Merci Jean-Marie !



Une petite randonnée au sommet de la vigie de la Vautubière me donne un aperçu de la semaine à venir autour du Lubéron.



Passage devant une borie, abri de berger en pierre sèche typique de la région



Mais en attendant je suis aux petits soins et me familiarise avec quelques mets locaux, dont j’ai pu restituer les noms grâce à la mémoire infaillible … de mon carnet.
La « poutargue » est une agglomération d’œufs séchés de mulet (ou muge) conservés dans de la cire : excellent à déguster en apéritif.
Quant à la « cramaillotte », ce n’est ni plus ni moins que de la confiture de pissenlit : 340 fleurs de pissenlit exactement et un paquet de grammes de sucre.

En quittant Jouques la sacoche avant est alourdie de sandwichs aux sardines, de confiture d’orange, et d’un régal de cyclotouriste : les pâtes de fruit « home made » … merci Laurence !





-        -  Comment appelle-t-on la confiture de pissenlit ? me demande-t-elle alors que j’entame le premier virage
-        -  Euh … la poutarque ?

Et là j’avoue ne pas avoir compris la réponse, qui devait assurément être du provençal.

Le soleil étant revenu je peux me reposer dans une chaise végétale taillée dans les buis avant d’aller arpenter la montagne.





Entre Cavaillon à l’ouest et Manosque à l’est le massif horizontal du Lubéron qui culmine à 1125m au Mourre Nègre est décoré sur ses flancs nord et sud de colliers de villages qui sont autant de perles à découvrir.
La carte pourrait me restituer leur toponyme mais les quelques images prises à la dérobée suffisent à leur donner une identité propre.

villages perchés ou au fond d’une gorge







châteaux, maisons de particuliers ou moulins









fontaines ou lavoirs






la petite véloroute qui relie tous ces lieux est bien agréable à suivre en ce début de printemps, et donne à chaque fois des perspectives différentes sur les montagnes











En bivouaquant à l’abri des oliviers à l’entrée de l’un de ces petits bourgs, et alors que je sors de la tente pour un dernier besoin, seule l’église illuminée se détache dans la nuit obscure. 



Je décide d’aller visiter à la frontale ces vieilles pierres et trouve en ce chien blanc un guide peu bavard mais sûr du chemin, qui me fera même redescendre par un autre itinéraire.




Plut tôt dans l’après-midi, c’est Jessie qui m’interpelle depuis son vélo lesté de deux sacoches qu’elle rôde dans le Lubéron avant un voyage en Slovénie.
-          Tu ne serais pas celui qui a passé deux nuits dans la montagne de Lure ?
-          … ?!
J’avais lu sur le livre d’or du refuge que la dernière occupante était une Jessie, mais comment a-t-elle pu deviner que j’y étais passé un mois après elle ? C’est entre temps Lucien qui par téléphone lui avait parlé de moi, mais la probabilité pour que l’on se croise sur la route était plutôt mince.
Tant mieux, car je fais en plus la connaissance plus tard de ses parents Nadine et André, qui ont bien la ferme intention d’aller découvrir d’ici peu la côte atlantique ; et je les ai à peine forcés.

Ils auront sans doute plus de chance d’y goûter des melons charentais que moi de trouver en mars du melon sur le marché de Cavaillon. C’est un défi que je n’ai pu relever.
Un grand merci à tous trois en tout cas pour leur accueil.



De l’autre côté de la chaîne le vieux bourg de Manosque surplombant la Durance et se découvrant à pied est la patrie de Jean Giono.




Le grand écrivain du vingtième siècle a fait des collines entourant la ville le décor de nombre de ses romans. Lui qui n’aimait pas le soleil et aurait préféré vivre en Ecosse a néanmoins concilié la Provence à la trame de son imaginaire.
Fernandel dans Crésus, c’est au cinéma, et c’est aussi de lui.
Dans la maison provençale qui lui est consacrée une salle d’exposition dévoile le travail d’artistes contemporains inspirés par l’auteur.




Peut-être que, inconsciemment, les petits colliers de bande-dessinée que réalise Laurence, et qui m’ont beaucoup plu, ont un peu quelque chose à voir avec l’univers qu’a créé Jean Giono.  




 

mercredi 16 mars 2016

Empreinte d'ADN

En prenant la route de la corniche qui surplombe le Var je m’engage dans un itinéraire bien dissemblable de celui de la côte, déjà bien peuplé en cette fin d’hiver.



Après une bonne nuit d’orage les rivières se sont mues en torrents ; 

La Cagne

Vence



le soleil reprend vite le dessus et comme c’est le week-end cette petite départementale qui contourne les Gorges du Loup et monte à l’assaut du joli village médiéval de Gourdon vomit sans arrêts dans mon rétroviseur des véhicules un poil pressés.

Tourrettes-sur-Loup


gorges du Loup

Gourdon



C’est plus calme à Grasse, ville du parfum, et ça devient Byzance à partir du lac de Saint-Cassien.




Les villages aux rues vides de Seillans et Bargemon prennent alors un charme suranné.

Seillans ; vue sur l'Esterel

Bargemon


Et au dessus le col de Bel-Homme me pousse sur le plateau désert de Canjuers, immense « terrain de jeu » des militaires.

col de Bel-Homme


Je perds de vue la côte et mon champ visuel s’élargit aux pics enneigés des Alpes de Haute-Provence.

plateau de Canjuers


Le spectacle devient splendide avec le survol du Grand Canyon du Verdon où le mince filet d’eau que j’aperçois épisodiquement me donne les ailes du condor ; dans mes rêves seulement car de sèches montées me collent au bitume.





La récompense est la descente vers le lac de Sainte-Croix au bleu plus pur que le ciel.






village de Moustiers-Ste-Marie...




Bien plus haut, la route qui s’élève à plus de 1300 mètres au col de Font-Belle m’appartient ; c’est la « route du temps » ainsi nommée en hommage au philosophe humaniste Pierre Gassendi, qui a dit quelque chose comme « nulle substance, nul accident n’existe auquel il n’appartienne d’être quelque part ou dans quelque lieu ; ou d’être à quelque moment ou dans un certain temps et de telle sorte que même si telle substance ou tel accident disparaissait, le lieu n’en continuerait pas moins de demeurer et le temps de s’écouler… ». J’ai pour moi le temps de la crapahute pour disserter sur le sujet.

Thoard ; en montant vers le col

panorama depuis le col d'Hysope

col de Font-Belle


de l'autre côté du col, Sisteron...

...au pied de la Citadelle Vauban



Digne-les-Bains est une préfecture tranquille. 



J’y croise Mathieu qui m’interpelle ; il part bientôt pour un voyage solidaire au Maroc d’une vingtaine de jours avec ses sacoches remplies d’accessoires vélo qu’il compte donner au fil de ses rencontres. Comme il n’a pas pu tout caser il me fait cadeau de deux pneus quasiment neufs … je prends !  



En franchissant un pont sur la Bléone dédié à Alexandra David-Néel, j’apprends que la célèbre exploratrice a vécu ses dix dernières années à Digne dans une villa achetée trente ans plus tôt.
Je file donc vers « Samten dzong » (c’est ainsi qu’elle avait rebaptisé sa demeure) devenue depuis un musée à l’initiative de Marie-Madeleine Peyronnet.

Samten dzong



Agée de 29 ans, Marie-Madeleine rencontre Alexandra David-Néel pour la première fois à Aix-en-Provence en 1959. En devenant la secrétaire de cette nonagénaire, elle ne se doute pas un instant signer pour un CDD de dix ans. Si elle avait su… Car la célèbre exploratrice – la première occidentale à être entrée en 1924 à Lhassa dans un Tibet complètement hermétique (cf « Voyage d’une Parisienne à Lhassa ») – lui mènera la vie dure. N’étant quasiment plus capable de marcher, sa capacité intellectuelle restera intacte jusqu’à l’aune de ses 101 ans.
Un couple improbable se forme alors, entre cette jeune Pied-noir novice en littérature et cette aventurière âgée bien décidée à employer le reste de son temps à écrire, et qui demande parfois l’impossible à sa secrétaire, comme lui imposer des recherches dans des livres écrits en tibétain et en sanscrit.
Marie-Madeleine supporte la tyrannie de sa patronne jusqu’au bout, jusqu’au jour où les coups de sonnette intempestifs d’Alexandra ne résonnent plus dans Samten dzong, à partir du funeste lundi 8 septembre 1969 ; Marie-Madeleine se rend compte alors, mais elle le savait déjà, avoir vécu les dix plus fortes années de sa vie auprès d’un être extraordinaire.
« à l’âge où les adolescentes rêvent de Prince charmant, moi, je voulais rencontrer une « intelligence ». Peu m’importe de la trouver chez un homme ou une femme ! … Cette « chose » si rare, si exceptionnelle, n’a ni sexe ni âge. Je venais de la découvrir. C’est bien là, la seule réussite de mon existence et réalisée, je dois le dire, bien au-delà de mes espérances … »



« Dix ans avec Alexandra David-Néel », de Marie-Madeleine Peyronnet
(lire aussi « Les itinéraires d’Alexandra-David-Néel », de Joëlle Désiré-Marchand)

Quelques jours plus tard, en m’arrêtant pour le casse-croûte au monastère de Notre-Dame de Lure (dont il ne reste plus que l’église), une forte averse de grêle m’oblige à entrer dans le refuge attenant à la maison du gardien Lucien.
J’allume un bon feu de cheminée pour me réchauffer, et quand je sors la grêle changée en neige a transformé le paysage en moins d’une heure … splendide !


moins d'une heure séparent ces deux photos de l'abbaye de Lure



Le lendemain, je pars randonner jusqu’au Signal de Lure, en laissant mes affaires à la garde de Lucien, dans un décor magnifique où je suis parfois le premier à fouler le sentier tout blanc.


quelques traces d'animaux nocturnes


au loin le Ventoux, au pic toujours enneigé


vue de Sisteron et la route nord du massif de Lure

Signal de Lure (1826 mètres)
retour au refuge par le même chemin



Je passe une seconde nuit au refuge, après avoir effectué une nouvelle « corvée » de bois. 



Depuis ma petite lucarne je regarde peu à peu la nuit envelopper les noyers massifs trônant majestueusement sur le parvis végétal de la petite église, et termine la lecture du témoignage émouvant de Marie-Madeleine Peyronnet, en essayant de saisir dans ce lieu isolé au milieu de la forêt, sinon un petit bout d’âme, au moins une empreinte … d’Alexandra David-Néel. 


Forcalquier, au pied du massif de Lure