vendredi 29 avril 2016

dans les villes et vallées des hautes alpes



Gap présente un petit centre animé autour de l’hôtel de ville.


Après la visite je vais chercher un coin de bivouac sur les hauteurs de la ville. Mais la piste cyclable qui mène au domaine de Charence aménagé autour d’un lac prend peu de détours, et il me reste encore de la crapahute pour arriver en nage sur le petit plateau forestier qui à 1100 mètres d’altitude domine la préfecture des Hautes-Alpes.

pic de Charence



Embrun surplombe la Durance. Les ruelles médiévales, la cathédrale et son imposant intérieur, la Tour Sombre… forment un centre urbain plein de charme, malgré la grisaille.



tour sombre

jardin de l'évêché


L’orage annoncé en fin de matinée me cueille à la sortie du Super U en début de soirée. Le parking à vélo m’offre un abri temporaire, mais la pluie redouble d’intensité au fur et à mesure que les clients disparaissent. De temporaire l’abri devient définitif. Je plante la tente sur le parking vidé de ses voitures en sifflotant la rengaine de l’enseigne :
« Uh, uh, uh … les nouveaux commerçants ! »



Pour freiner les prétentions de Victor-Amédée II de Savoie sur la haute vallée de la Durance, Louis XIV appelle Vauban pour fortifier la frontière. Après avoir songé à renforcer Embrun, il choisit de créer sur le plateau des Mille vents un site de défense ex-nihilo : c’est la naissance de Mont-Dauphin.



L’enceinte est suffisamment grande pour y accueillir en plus de la garnison une ville. Mais la population civile peut enclin à côtoyer les militaires fait faux bond ; seuls commerçants et artisans investissent la place, et l’église Saint-Louis qui devait être élevée en l’honneur du Roi Soleil ne fut jamais terminée.

lunette d'Arçon

arsenal

église Saint-Louis inachevée


Reste que la place forte ne fut jamais prise par l’ennemi … même si elle ne fut jamais attaquée ! La visite guidée est en tout cas passionnante.

Plus haut, Briançon est la porte de l’Italie. Là encore l’infatigable Vauban y a laissé son empreinte.


place d'armes






La plus haute ville de France est située à quelques encablures des pistes de ski de Serre-Chevalier, où la saison se termine bientôt.


Je continue de remonter la vallée de la Guisane jusqu’au petit village du Casset, où l’ancien moulin reconverti en musée permet d’appréhender la vie des paysans, depuis le dur labeur agricole de haute montagne, jusqu’à l’épopée de la mine de Freyssinet.

la Guisane

Le Monêtier

Le Casset

Lucienne, qui porte un sympathique nom de famille, évoque avec émotion cette vie passée avant que le tourisme ne change le destin de ces habitants.



En remontant à pied le torrent du Tabuc j’arrive au pied du glacier du Casset.

pics et galcier du Casset



Il descendait autrefois jusqu’au village, et était exploité au printemps et à l’automne pour alimenter via la voie ferrée les glacières de Marseille.

La Durance est la plus longue rivière du pays.

Durance et pic de la Font Sancte (3387m)

toujours facile d'y trouver à bivouaquer

En remontant ses affluents de la rive droite j’entre aux portes du Parc National des Ecrins.

Barre des Ecrins (4102m)

Dans la vallée de l’Onde, Paulo qui pensait se faufiler au milieu de la glace est finalement stoppé quelques hectomètres plus loin.

départ facile par le GR

route enneigée

ça passe encore

là, ça passe plus !

un peu de marche pour voir les sommets des Bans (3669m)

Ce n’est que partie remise. La vallée de la Freissinières, plus au sud, et plus sauvage, me conduit au pied du cirque glaciaire. 

vallée de la Freissinières

de belles cascades

bivouac à 2km du cirque glaciaire

au dessus du cirque le Grand Pinier (3117m)

45 minutes de grimpette me permettent d’arriver au village isolé  de Dormillouse accessible qu’à pied ; éclairage photovoltaïque, chauffage au bois … bien qu’habité toute l’année je ne rencontre aucun villageois.



le Temple et l'ancienne école


Mais les marmottes qui sortent juste d’hibernation ne se font pas prier pour poser devant le photographe.
On peut d’ailleurs les observer facilement aux abords de la Durance.



ce petit renard semblait lui aussi sortir d'hibernation


Giono disait « ce n’est pas que la Durance soit méchante mais pour elle, le bien et le mal c’est pareil. »
Le barrage de Serre-Ponçon terminé en 1959 permet depuis de canaliser les débordements de l’impétueuse rivière.



curiosité géologique : les Demoiselles coiffées


L’Ubaye, que je remonte cette fois-ci en rive gauche de la Durance, me conduit à Barcelonnette, nichée au pied de deux pics à la forme caractéristique : le « Chapeau de Gendarme » (2685m) et la « Pain de Sucre » (2560m).

vallée de l'Ubaye
Chapeau de Gendarme au centre et Pain de Sucre à droite


Cette vallée, qui s’incruste jusqu’au col de Larche à la frontière italienne, a vécu à partir du 17ème siècle de la transformation de la laine de mouton en gros draps, que les hommes allaient vendre jusque dans les Flandres.
Ils y ont gagné le goût du commerce et du voyage. Anticipant l’agonie de l’industrie du drap en France, les frères Arnaud, de Jausiers, émigrent en 1821 au Mexique. Ils y développent si bien le commerce de la « ropa » (tissu) qu’ils reviennent 15 ans plus tard le cul cousu de lingots, suscitant chez leur concitoyens de la vallée d’Ubaye l’envie de tenter eux aussi l’aventure.
Un empire commercial, industriel et bancaire se développe alors au Mexique, qui prend le nom d’ « Empire barcelonnette ».

Le jeune Anselme Charpenel quitte à dos de mulet son petit village de Certamussat pour Barcelonnette ; de là la diligence l'emmène à Prunières pour prendre le train de Paris.
"Je pris une place. J'avais entendu parlé du train à quelque chose appartenant à une légende. Mes yeux étaient grand ouverts pour contempler tout ce qui défilait devant eux. J'avais enfin trouvé une réponse à la question que je me posais souvent en gardant mes moutons à Certamussat : qu'y a-t-il derrière ces montagnes ?"


Nouveau train depuis Paris pour Saint-Nazaire, et un voyage en cargo de 25 jours à bord de la Navarre, avec une escale à La Havanne : on est loin des ports aseptisés du 21ème siècle.
"Pendant les 48 heures d'arrêt, nuit et jour, le bruit causé par les grues déchargeant les marchandises fut infernal. De plus. la poussière du charbon envahissait le pont, la passerelle, les cabines... Des centaines de noirs montaient et descendaient les passerelles, 100 kg de charbon sur le dos, un gros cigare à la bouche."

les colporteurs de Barcelonnette à la mode mexicaine

jusqu'a 6000 ouvriers dans des usines de filature du coton modernes
art mexicain

Mais ces montagnards là ne font pas souche en Amérique. Une fois leur fortune faite ils rentrent s’installer au pays, et y font construire les somptueuses villas que l’on peut admirer à la dérobée encore aujourd’hui.


villa à Jausiers


Villa d'Emile Chabrand, berger à Arles, qui fit fortune au Mexique en 1864, puis un tour du monde à partir de 1892.


La villa Sapinière, la seule que l'on peut visiter, reconvertie en un passionnant musée.


Des descendants de ces aventuriers vivant désormais au Mexique reviennent l’été habiter les villas de leurs ancêtres qu’ils ont reçues en legs.

Mon parcours vélo se termine quant à moi au lac des Sagnes, que j’atteints après dix kilomètres d’ascension par une superbe piste forestière qui surplombe le torrent Abriès.

crête de Siguret

piste forestière en route vers le lac



A 1900 mètres d’altitude j’y passe une nuit bien fraîche. Après avoir laissé au matin le thermomètre hors de la tente je le récupère alors qu’il affiche -5 degrés, sans qu’il ait eu le temps de descendre plus bas. Heureusement, comme sur les hauts plateaux boliviens, quand le soleil paraît (ici au dessus de la crête de Siguret), le corps s’anime enfin.

Mais il existe, dans les Ecrins notamment, des lacs bien plus hauts perchés et dont l’accès est interdit au public. Ce sont les « lacs sentinelles » que les scientifiques étudient toute l’année avec la collaboration des gardiens du Parc National.

 Sondes, photographies automatiques, carottes sédimentaires … des milliers de données remontent chaque année dans les laboratoires d’analyse, et nous apprennent que même isolés dans leurs altitudes, ces zones sauvages absorbent via l’atmosphère les rejets de l’activité humaine.